Le cas Timmerman

Extrait du livre de l'abbé Olivier RIOULT, "La Clef des Écritures" :

Traité contre les juifs et les gentils qui rejettent, pour des motifs opposés mais en raison d’une même lecture charnelle, l’admirable harmonie de l’Ancien et du Nouveau Testament, de la lettre et de l’esprit, l’Ancien étant la prophétie du Nouveau et le Nouveau la réalisation de l’Ancien, et ce par une méconnaissance du Christ, l’unique clef des Saintes Écritures, qui seul donne la parfaite intelligence de l’histoire du salut de l’humanité.

M. Claude Timmerman est un biologiste et statisticien qui n’aurait jamais dû quitter son domaine de prédilection. Il a rédigé un Dossier spécial pour le site E&R intitulé “Comment l’Église moderne sacralisa l’Ancien Testament”. Cette thèse est tout simplement ridicule, bizarre et extravagante. Dès le IIe siècle, saint Irénée évêque de Lyon, réfutant les erreurs marcionites, proclamait l’inspiration divine des saintes Écritures, anciennes comme nouvelles : « Que si nous ne pouvons trouver la solution de toutes les questions soulevées par les Écritures, n’allons pas pour cela chercher un autre Dieu en dehors de Celui qui est le vrai Dieu : ce serait le comble de l’impiété. Nous devons abandonner de telles questions au Dieu qui nous a faits, sachant très bien que les Écritures sont parfaites, données qu’elles ont été par le Verbe de Dieu et par son Esprit… »1 Un peu plus loin, le même évêque, qui n’était séparé du Christ et des apôtres que d’une seule génération, concluait au sujet des hérétiques de son temps : « ces gens-là n’ont pas une compétence supérieure à celle des Écritures, et nous ne sommes nullement tenus de délaisser les oracles du Seigneur, ni Moïse et les autres prophètes qui ont prêché la vérité, pour croire des gens qui, non contents de ne rien dire de sain, profèrent d’inconsistantes divagations. » Saint Irénée avait recueilli cet enseignement de la foi des lèvres de saint Polycarpe, le grand évêque et martyr de Smyrne, qui fut lui-même le disciple de l’apôtre saint Jean… M. Timmerman, lui n’a connu ni saint Jean, ni saint Polycarpe. Et s’il avait lu saint Irénée, il aurait pu comprendre que l’Église n’a pas attendu le XIXe siècle pour “sacraliser l’Ancien Testament” comme il le prétend, puisque cet enseignement est une doctrine apostolique.

Dans le même genre d’idée, Claude Timmerman a produit un livre, “Judéo-christianisme”, aux éditions Kontre Kulture. Il s’agit d’une compilation assez indigeste qui mélange un peu de bon grain avec beaucoup d’ivraie. Des faits, le plus souvent justes, sont mêlés à des interprétations assez souvent fausses. Car une bonne mémoire ne produit pas nécessairement un bon jugement. M. Timmerman possède de vastes connaissances qu’il peine visiblement à ordonner… Si son but était louable : « faire prendre conscience aux chrétiens naïfs » que « le peuple juif » n’est pas « l’allié naturel des chrétiens », son résultat est exécrable : les faux jugements, les sophismes et les erreurs que contient son livre sont innombrables. Et afin que le lecteur ne pense point que notre jugement soit gratuit ou malveillant, donnons quelques exemples.

Un premier fait qui pour nous reste incompréhensible, vu son érudition, est la confusion incessante qu’entretient M. Timmerman entre ‘inerrance’ et ‘inhérence’. Apparemment, notre spécialiste de la génétique ne fait pas la différence entre absence d’erreur (inerrance) et ce qui est joint inséparablement (inhérence). Sauf une fois (p. 82), il parle tout au long de son livre d’inhérence biblique (pp. 45, 81, 82, 246), ce qui ne veut strictement rien dire. Ce détail révèle à lui seul l’aspect bâclé de sa compilation. Et à cette erreur de sens, il ajoute une erreur de jugement quand il fait croire que ceux qui professent l’inerrance des Anciennes Écritures sont « des gens pour qui l’Ancien Testament prime donc le Nouveau Testament… » (p. 45). Grossier contresens qui montre à quel point M. Timmerman ignore son sujet. Rappelons donc que l’Ancienne Alliance est aujourd’hui abrogée, révoquée et abolie par Dieu. Et cela depuis 2000 ans. Saint Paul le disait explicitement à ces Hébreux devenus chrétiens : « Car, le sacerdoce étant changé, il est nécessaire que la Loi le soit aussi… Ainsi, a été abrogée la première ordonnance, à cause de son impuissance et de son inutilité, car la Loi n’a rien amené à la perfection, mais elle a été l’introduction à une meilleure espérance, par laquelle nous avons accès auprès de Dieu. » (7, 12.18-19) « En effet, si la première Alliance avait été sans défaut, il n’y aurait pas eu lieu de lui en substituer une … En disant : “Une Alliance nouvelle”, Dieu a déclaré la première vieillie ; or, ce qui est devenu ancien, ce qui est vieilli, est près de disparaître. » (8, 7 & 13)

M. Timmerman fait aussi une fixation sur les chameaux. À plusieurs reprises (pp. 49, 81, 83, 218), il prétend que la présence de chameaux dans le texte de la Genèse serait un anachronisme de mille ans qui prouverait à lui seul la fausseté des récits et donc l’inexistence historique des personnages évoqués (Abraham, Joseph, Moïse). Ce qui donne cette phrase assez comique qui condense à la fois ses erreurs orthographiques et la superficialité de son jugement : « Pour la plus grande consternation des inhérents biblistes, on se doit, à ce stade, de répéter que jamais un chameau - même plutôt sous la forme de dromadaire - n’a mis ses pieds ni sa bosse en Égypte, aux temps supposés d’Abraham. Les niveaux archéologiques font foi. Rien avant le VIIIe siècle… Par conséquent, seuls des scribes du VIIIe siècle ont pu faire mention de chameaux dans la Bible. » M. Timmerman y croit dur comme fer. Sauf que des ouvrages spécialisés affirment que la domestication du dromadaire est intervenue vers 2000 ans avant notre ère en Arabie, et que les Pontiques (indo-européens) du sud de l’Aral avaient même domestiqués le chameau entre 2600 et 2300 avant J.C. Le professeur anglais Kenneth Kitchen, égyptologue de l’Université de Liverpool, a mis en évidence un texte sumérien de Nippur du XVIIIe siècle avant J.C. faisant allusion au lait du chameau et des os de chameau trouvés dans les ruines d’une maison à Mari estimée du XXIVe siècle avant J.C., ainsi qu’une représentation incomplète du chameau datant du XIXe siècle avant J.C. retrouvé dans Byblos.2 Le Nouveau Dictionnaire de la Bible (Emmaüs, 1961, p. 125) dit « contrairement aux déclarations de certains critiques, l’archéologie a retrouvé des statuettes représentant des chameaux, des ossements et autres vestiges remontant à 3000 ans avant J.C.3 Il n’est donc pas surprenant qu’Abraham et Jacob aient eu des chameaux (Gn 12,16 ; 30,43) »

M. Timmerman traite pareillement de l’histoire de Moïse qui ne savait pas écrire… L’affirmation est péremptoire. Aucune preuve, si ce n’est cette affirmation : « Israël Finkelstein est catégorique : la population de Jérusalem n’était pas encore alphabétisée à l’époque de Salomon ! » (p. 113) Ceci est à peu près aussi stupide qu’affirmer que les évêques et les moines de la Gaule au VIe siècle ne savaient pas écrire parce que l’alphabétisation de l’Empire d’Occident fut l’œuvre de Charlemagne au VIIIe siècle… Remarquons aussi la page 104 qui est partiellement malhonnête. Notre biologiste conclut à la « légende du géant Goliath » en s’appuyant sur les fouilles d’un cimetière philistin n’ayant retrouvé aucun “géant”, tous les squelettes étant de “taille normale”. Comme si la Bible affirmait que tous les Philistins étaient des géants… Alors qu’elle manifeste au contraire que Goliath fut justement choisi pour livrer un combat singulier avec un israélite en raison de sa taille exceptionnelle.

Passons sur la confusion entre calendrier lunaire et culte de la lune… Un dernier exemple nous montrera que l’on ne s’improvise pas exégète, fut-on brillant biologiste. M. Timmerman nous parle du psaume LXXXII qu’il estime « troublant » (pp. 233-234) et qu’il présente comme une forme évidente de croyance en une pluralité de dieux : « Ceci se retrouve un peu plus loin dans le même psaume, où la divinité des membres de l’assemblée est affirmée sans équivoque au verset 6 : “vous êtes des dieux, tous des fils du Très Haut…” » Et devant ce verset, le « subterfuge » de voir dans ces dieux des juges tomberait de lui-même. Donnons tout d’abord ce psaume 82 en entier selon la traduction de Crampon : « (v. 1) Dieu se tient dans l’assemblée du Tout-Puissant ; au milieu des dieux il rend son arrêt. (v. 2) Jusques à quand jugerez-vous injustement, et prendrez-vous parti pour les méchants ? (v. 3) Rendez justice au faible et à l’orphelin, faites droit au malheureux et au pauvre, (v. 4) sauvez le misérable et l’indigent, délivrez-les de la main des méchants. (v. 5) Ils n’ont ni savoir ni intelligence, ils marchent dans les ténèbres ; tous les fondements de la terre sont ébranlés. (v. 6) J’ai dit : “Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut. (v. 7) Cependant, vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme le premier venu des princes.” (v. 8) Lève-toi, ô Dieu, juge la terre, car toutes les nations t’appartiennent. » M. Timmerman lit ce psaume sans tenir aucun compte des règles élémentaires d’interprétation que nous énoncerons succinctement un peu plus loin. Il néglige de plus royalement de remettre le passage dans son contexte et confond allégrement le sens littéral propre avec le sens littéral métaphorique.

Ce psaume n’est qu’un sévère avertissement donné par Dieu même aux chefs et aux juges iniques. De tels reproches contre « les anciens de son peuple » sont fréquents dans la Bible. La salle du jugement et son heure ne sont qu’un pur décor poétique, Dieu étant partout et toujours juge. Dieu leur reproche de faire acception de personne, c’est-à-dire de prononcer un jugement pour des raisons autres que le droit. Un juge ne doit pas être vénal, c’est-à-dire achetable par des présents. Pour ne pas sortir de la voie droite, le juge ne doit faire preuve ni de faiblesse devant les grands ni de dureté vis-à-vis des petits. Le code mosaïque indique que le juge ne doit tenir compte ni de la richesse ni de la puissance. Le juge ne doit donc pas mépriser la cause de l’orphelin et du malheureux, même s’il est sans espoir de rétribution. Dieu donne ensuite aux juges les raisons de ces obligations : il y va du bien et de la sécurité du monde même ; Les lois de la justice et ceux qui doivent les appliquer sont appelés « les fondements de la terre ». Si on transgresse impunément ces lois, tout l’ordre social, reposant sur ces bases, sera du même coup ébranlé et s’écroulera. Aussi les juges qui les transgressent eux-mêmes, sont des aveugles ; ils ne comprennent ni les raisons sur lesquelles elles s’appuient, ni les suites de leur transgression : ils marchent en pleines ténèbres. Dieu ajoute, à cette raison d’ordre général, une autre tirée de leur responsabilité personnelle : Dieu leur a conféré une partie de son pouvoir sur le monde : “vous êtes dieux et fils du Très-Haut”. Détenant une partie de son autorité sur terre, ils sont les “dieux” de la terre. Mais en partie seulement car ils sont et restent des hommes, quoique plus puissants que les autres. Le verset montre à l’évidence que le terme de « élohim » (“dieux”) ne s’applique ici qu’à des hommes revêtus de la fonction de juge sur terre. L’avertissement est clair : si Dieu vous a fait participer à son autorité judiciaire, vous demeurez cependant des hommes ; et comme tous les hommes, vous mourrez ; et plus vous aurez été élevés, plus votre chute sera profonde. À cette conclusion du discours divin, le psalmiste ajoute la sienne, une prière : « Lève-toi, ô Dieu, viens juger ! » Sous-entendu : « Toi seul, vrai juge de l’univers, es capable de restaurer la justice universelle et définitive ». Voilà ce que M. Timmerman trouve « troublant » et comme un témoignage évident de polythéisme… Passons donc notre chemin.

1 - Adversus Hæreses, II, 28, 2.

2 - Kitchen K.A. Ancient Orient and Old Testament, ch. 4. Inter-Varsity Press, London 1966, p.191.

3 - cf. JP Free, « Abraham’s Carmels », Journal of Near Eastern Studies, 07/1944, p. 187-19.

 

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